Questions aux Politiques : Raphaël Glucksmann
Par le collectif Les Voies - Amandine ROGEON et Alexandra LAFFITTE
Dans le cadre de sa série Questions aux Politiques, le collectif Les Voies a aujourd’hui souhaité s’adresser à Valérie Hayer , Présidente du groupe Renew au Parlement européen et tête de liste de la majorité présidentielle pour les prochaines élections européennes qui auront lieu, rappelons-le une fois encore, le 9 juin prochain.
Minute politique : votre duel face à Jordan Bardella
Des faits rien que des faits. Lors de la précédente élection européenne de 2019, les résultats étaient extrêmement serrés. Durant la dernière semaine de campagne, les sondages relatifs aux intentions de vote(1) donnaient le Rassemblement National en tête avec 25% et la liste de La République en Marche menée à l’époque par Nathalie Loiseau à 23%. Résultat des courses, Jordan Bardella obtenait 23,24% des suffrages exprimés et envoyait 22 députés au Parlement européen, quand la liste de la majorité arrivait presque au coude à coude avec 22,42% des voix et 21 députés.
Madame la Présidente, vous vous positionnez ouvertement comme l’opposante principale du candidat tête de liste du Rassemblement National Jordan Bardella depuis que vous avez été désignée pour porter la liste de la majorité présidentielle aux élections européennes de 2024. Au regard des précédent résultats et des sondages actuels qui voient un écart se creuser semaine après semaine, considérez-vous que la stratégie d’opposition pour laquelle vous avez opté soit adaptée ? Quel est, à votre sens, le meilleur moyen d’affronter un Rassemblement National qui semble désormais avoir foi en l’Europe ?
Le dernier baromètre Toluna-Harris Interactive publié le 3 avril nous démontre que la liste de Jordan Bardella progresse encore, avec 31% des intentions de vote, quand la vôtre a reculé pour se positionner à 17%. Au regard de ces chiffres, pensez-vous finalement assurer le débat organisé sur France 24 et RFI le 10 avril prochain en cas d’absence du candidat tête de liste du Rassemblement National ?
Libre-échange ou ligne de crête
Le CETA, cet accord économique et commercial global, ou autrement dit, traité de libre-échange, signé par l’Union européenne et le Canada en octobre 2016 a récemment fait l’objet d’un rejet par les sénateurs français. Or, pour que cet accord soit pleinement mis en œuvre, il doit nécessairement être ratifié par l’ensemble des Parlements des 27 Etats membres. Cette décision éminemment politique met-elle un coup d’arrêt à cet accord provisoirement en vigueur depuis son approbation par le Parlement européen et 17 États membres ? Comment interprétez-vous ce refus des sénateurs et des sénatrices français ? Quelles seront les conséquences d’une telle décision pour les investisseurs français particulièrement intéressés par cet accord, que sont les viticulteurs, les producteurs de lait ou encore les industriels utilisant des minéraux critiques ?
Dans quelle mesure considérez vous cet accord favorable à certaines filières agricoles françaises (lait, céréales…) ? Comment concilier lutte contre le réchauffement climatique, protection de la biodiversité, encouragement de pratiques agricoles durables avec le CETA ? Que répondez-vous aux détracteurs du CETA motivés par l’impact négatif d’un tel accord sur l’environnement ?
Parce que vous avez voté cet accord, que vous considérez comme particulièrement favorable à nos agriculteurs, préconisez-vous une forme de passage en force qui marginaliserait le vote du Sénat ? La France devrait-elle s’inspirer du gouvernement chypriote qui, après une opposition de ratification prononcée par son parlement en juillet 2020, a refusé de notifier cette décision de rejet à l’Union européenne ?
Migration : l’équation insoluble
En décembre dernier, à l’heure où les parlementaires français se prononçaient sur le projet de loi immigration, les législateurs européens se mettaient d’accord sur les principes directeurs d’un nouveau Pacte sur la migration et l’asile visant à renforcer la lutte contre l’immigration illégale et accélérer la reconduction des personnes en situation irrégulière.
Petit rappel des mesures phares :
Le Parlement et le Conseil de l’Union européenne ont exprimé leur intention d’établir un mécanisme de “premier filtrage” aux frontières de l’Union afin d’accélérer le traitement des demandes d’asile avant l’entrée sur le territoire. En cas de rejet de la demande, les demandeurs d’asile seraient renvoyés vers leur pays d’origine ou un pays tiers. Chaque État membre désignera le pays de renvoi à partir d’une liste nationale définissant les pays considérés comme “sûrs”.
Face à l’échec du plan européen visant à imposer la relocalisation des demandeurs d’asile dans certains États, le nouveau Pacte migratoire repose désormais sur deux principes fondamentaux : la flexibilité et la solidarité. En cas de pression migratoire dans les pays d’entrée tels que l’Italie, la Grèce, Malte et l’Espagne, la Commission européenne sera habilitée à déclencher un mécanisme de solidarité envers les États membres. Ces derniers auront le choix entre deux options : soit accueillir une partie des demandeurs d’asile avec un soutien financier européen, soit aider l’État sous pression à accueillir ces demandeurs d’asile via un soutien financier et/ou la construction de centres d’accueil. Il est à noter que les États refusant ces deux options seraient contraints de verser une compensation financière de 20 000 euros par demandeur d’asile aux pays d’entrée.
La Commission européenne propose par ailleurs de renforcer les accords de réadmission avec les pays d’origine des migrants, comme ceux déjà établis avec la Turquie, la Libye et la Tunisie, qui, en échange d’une compensation financière, se sont engagés à renforcer les contrôles à leurs frontières pour réduire l’immigration illégale et à accepter le retour de tous les migrants irréguliers interceptés en Grèce. Ce renforcement impliquerait une contrepartie, la facilitation de l’accès aux visas européens pour les États coopérants dans le rapatriement de leurs ressortissants, tandis que des conditions plus strictes seraient imposées aux États moins coopératifs.
Pour quelle raison soutenez-vous le Pacte asile et immigration qui doit être voté le 11 avril prochain au Parlement européen ? Considérez-vous que ce pacte réponde aux enjeux liés au renforcement des frontières, à l’ouverture de centres d’enregistrement supplémentaires, à l’accès au territoire européen ou encore à la lutte contre les réseaux de passeurs ? Avec ces nouvelles règles, comment assurer le retour des demandeurs d’asile dans le respect des droits de l’homme, des droits fondamentaux et de la dignité des personnes ?
Que pensez-vous par ailleurs de l’appel de Giorgia Meloni à une réponse européenne aux crises migratoires, qui s’inscrit en faux par rapport au positionnement du Rassemblement National ? Faut-il pérenniser le système de contractualisation de réadmission existant entre l’Union européenne et la Turquie, la Lybie ou la Tunisie ?
Point serpent de mer : la réforme du Pacte de stabilité
Depuis 1992, la gouvernance économique occupe une place fondamentale dans l’architecture de l’Union européenne telle que nous la connaissons aujourd’hui. Mais pour quelles raisons ? Pour adopter l’euro comme monnaie unique, il fallait à l’époque imaginer un système destiné à prévenir et corriger les déséquilibres susceptibles d’affaiblir les économies nationales et d’affecter les autres pays de l’Union à cause des retombées transfrontières.
La pertinence des critères de convergence du traité de Maastricht est aujourd’hui remise en question. Rappelons que dès 2003, avec les déficits persistants de la France et de l’Allemagne dépassant les limites de 3% du PIB fixées par le Pacte de stabilité et de croissance, la Commission européenne avait échoué à obtenir une majorité au Conseil de l’Union pour soumettre ces deux États à la procédure des déficits excessifs.
Dans cette optique, une réforme du PSC a été introduite en 2005, mais la crise financière de 2008-2010 a une nouvelle fois mis en évidence les limites de ces ajustements. En réponse à la pandémie de Covid-19 en 2020, une suspension temporaire du Pacte a été décidée pour permettre aux États membres de soutenir leurs économies et leurs systèmes de santé. Ce dernier événement soulève des questions cruciales quant à l’équilibre entre la nécessité de soutenir l’investissement par l’endettement et la discipline budgétaire pour assurer la stabilité économique de la zone euro.
Dans ce contexte, et en tant que tête de liste du parti Renaissance pour les prochaines élections européennes, vous êtes directement confrontée à des questions cruciales sur la gestion économique de l’Union européenne et les réformes du Pacte de stabilité et de croissance. Quelle est votre position sur la réforme du cadre de gouvernance économique proposée par la Commission européenne, notamment en ce qui concerne la flexibilité nécessaire pour soutenir l’investissement tout en maintenant la discipline budgétaire existante ?
Pourquoi appeler au maintien des critères de convergence alors que l’aile gauche de votre parti y est plutôt opposée ? Est-ce une bataille perdue par la France contre les pays frugaux ? Quelles mesures spécifiques proposez-vous par ailleurs pour renforcer la résilience économique de l’Union économique face aux défis stratégiques actuels, tels que la guerre en Ukraine et la transition vers une économie plus durable et plus numérique, la sécurité énergétique ?
L’Ukraine coûte que coûte
Deux ans après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le soutien de la France et de l’Union européenne demeure pérenne. Les 27 Etats membres restent globalement unis et déterminés à défendre la paix. Résultat ? Nous en somme au 13ème train de sanctions adopté par le Conseil visant à restreindre l’accès de la Russie aux technologies militaires et à étendre la liste des personnes participant à l’effort de guerre russe, soit un peu plus de 2000 individus maintenant.
Les institutions européennes considèrent que « chaque euro dont la Russie ne s’empare pas constitue un progrès ». A ce jour, près de 300 milliards d’euros d’actifs russes sont gelés par les pays du G7, dont 200 milliards en Europe. Les bénéfices produits par ces actifs grâce à la hausse des taux s’élèvent à environ 3 milliards et sont stockés sur des comptes séparés.
Madame Hayer, la question de l’utilisation des bénéfices générés par les actifs gelés demeure pleine et entière. Êtes-vous favorable à cette nouvelle sanction politique malgré l’absence de déclaration de guerre de l’Union européenne contre la Russie ? Si l’on souhaite aller plus loin, encouragez-vous, au même titre que l’Estonie ou les Etats-Unis, la confiscation de ces avoirs au risque d’enfreindre le droit international ?
Nous savons que ces ressources seraient destinées à abonder le fonds spécifiquement consacré à l’Ukraine au sein de la Facilité européenne pour la paix (FEP) pour financer les équipements militaires, les infrastructures, comme les missions de formation de soldats Ukrainiens. La FEP fonctionnant dans le respect du droit international relatif aux droits de l’homme et du droit international humanitaire, quel dispositif proposez-vous de créer pour l’abonder ? Imaginez-vous utiliser les 3 milliards issus des bénéfices des actifs russes gelés ? Cela revient-il à admettre que l’Union européenne et ses 27 Etats membres sont belligérants dans ce conflit ? Si l’on fait un pas de côté, est-ce une étape vers l’accélération de l’intégration de l’Ukraine dans l’Union européenne ? Êtes-vous par ailleurs favorable à un prochain élargissement de l’Union aux différents pays candidats, qui sont aujourd’hui extrêmement nombreux, l’Ukraine bien sûr, mais aussi l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine, la Géorgie, la Macédoine du Nord, la Moldavie, le Monténégro, la Serbie, la Turquie ?